Quelle instrumentalisation du métissage dans la société française ?

“Je suis métis, un mélange de couleur ohoh, métis je viens d’ici et d’ailleurs ohoooh”.
C’est Yannick Noah qui, à travers les paroles de son titre classique “Métis(se)”, revendique
son métissage franco-camerounais comme un mélange de couleurs, comme un mélange de
“ Deux cultures, deux passés qui se rassemblent et ne font qu’un”. C’est ainsi qu’on définit
universellement le métissage, cependant il convient de rappeler qu’il n’est pas uniquement
l’affaire d’un mélange de couleurs de peau, mais bien de cultures, d’ethnies différentes
propres aux différentes régions du monde. Un métissage brésilo-coréen est tout aussi
valable qu’un métissage britanico-sénégalais !


Yannick Noah poursuit sa chanson en se désignant comme étant “ la preuve vivante
que tous les humains sont les mêmes ”. Le métissage est selon lui le résultat d’une égalité
évidente entre deux humains de race différente. Plus radicalement, il est persuadé que le
métissage ne peut résulter que de cette égalité. Pourtant, l’Histoire nous prouve le contraire
: les premiers enfants métis nés pendant l’esclavage aux Amériques, ou pendant la
colonisation en Asie, en Afrique ne sont pas le fruit d’un amour entre Hommes égaux. Il
s’agissait plutôt d’un rapport de domination de l’homme esclavagiste/colon blanc sur la
femme esclave/indigène noire, dans une logique d’appropriation et d’instrumentalisation de
sa fertilité et de son corps : les esclaves noires furent nombreuses à avoir été violées,
donnant ainsi naissance aux “mulâtres” qui devenaient les esclaves dits les mieux traités,
car ayant du sang blanc. Cependant, ce privilège reste à nuancer. La règle de la one-drop
rule (la règle de l’unique goutte de sang), principe de classification raciale aux Etats-Unis,
consistait à hiérarchiser les individus selon qu’ils possèdent ne serait-ce qu’un seul ancêtre
d’ascendance africaine (« une goutte » de sang noir). Ceux dont l’ancêtre était noir se
voyaient attribués le statut inférieur de non-blanc, car considérés comme produit d’une
impureté raciale.

De surcroît, le métissage n’a pas toujours été l’histoire d’un “mélange facile” comme
l’entend Yannick Noah. Mais alors qu’en est-il aujourd’hui ? Si les rapports de domination
coloniaux autour du métissage semblent avoir disparu juridiquement en France, peut-on
aujourd’hui encore en percevoir les vestiges ? Comment se manifestent-ils dans le couple
mixte, dans les médias, dans la société ? Quel métissage pour quelle représentation ?
Quelle exposition au racisme souffrent les personnes métisses ? Quelles souffrances face à
cette identité double ?
Parce que ces questions relèvent avant tout de ressentis et de questionnements de
l’identité, on tentera d’y répondre en s’appuyant sur des témoignages et observations
donnés par les personnes issues du métissage.
On entend souvent dire que “le métissage c’est l’avenir”, que de toute façon “nous
serons tous métis un jour” et qu’ainsi “c’est le métissage qui mettra fin au racisme”.
Bien que porteur d’espoir de tolérance et de vivre-ensemble, ce message, maladroit et naïf
ne peut répondre seul à la lutte contre le racisme. En effet, croire que la généralisation de
simples unions entre individus de race différente mettra fin au racisme, c’est d’abord occulter
le racisme qui peut se nicher au sein des couples mixtes, et c’est ensuite balayer 400 ans de
racisme scientifique, économique et politique ayant dessiné l’Histoire, et qui structurent
aujourd’hui encore nos sociétés. En effet, il est d’autant plus correct de parler de “part de racisme” chez l’individu que d’un “individu raciste” dans son essence. Là est toute la subtilité
du racisme actuel et de sa condamnation : on ne voit plus des personnes s’auto-proclamer
racistes, le racisme est aujourd’hui une idéologie difficilement avouable. On observe plutôt
des comportements, des actes ou encore des paroles racistes chez l’individu. Ainsi, nous
avons tous un effort de déconstruction à réaliser, qui se révèle plus-ou-moins lourd selon
notre socialisation, notre éducation et notre environnement qui façonnent différemment notre
rapport à l’autre.
Le métissage n’a alors rien d’une arme unique et pacifique à la lutte anti-raciste. Le
métissage comme solution magique au racisme n’est qu’un fantasme : les rapports de
domination demeurent, de manière volontaire ou non. En effet, on idéalise la lutte
anti-raciste menée dans le mélange, elle réunit “blacks, blancs, beurs”(expression
popularisée en France après la victoire des Bleus en coupe du Monde de 1998 mais
aujourd’hui débattue pour le fantasme de l’immigration et de l’histoire coloniale qu’elle
véhicule), dans le triomphe d’un amour indfférent aux couleurs et dans la glorification de la
tolérance. Dans un sens, qu’on le veuille ou non, être métis, c’est répondre à cet idéal
républicain universaliste qui interdit de reconnaître l’appartenance des français à une
prétendue race : la République française ne voit pas les couleurs, le mot race sera d’ailleurs
supprimé de la Constitution Française en 2018.

Ainsi, le métissage en France sert de couverture, de bouclier aux accusations de
racisme. Il est l’argument humaniste que rétorquent les défenseurs de la République quand
on les accuse d’intolérance et de racisme. La France fait de son métissage un bien précieux.
Pourtant, sa célébration voit des limites : tous les métissages ne sont pas bons à prendre !
Un type de métis sera ainsi valorisé au détriment d’un autre qui ne validerait pas certains
critères. En effet, après une brève observation des plateaux TV, des publicités, des médias,
des acteurs de cinéma (et actrices notamment), ou encore des icônes de beauté, on en
déduit qu’il existe un idéal type du métis en France. Le métis médiatisable, représentable
doit d’abord valider des critères physiques précis (on s’intéressera ici au métissage
blanc-noir qui est sureprésenté) : peau relativement chocolatée mais pas trop foncée,
cheveux frisés mais pas crépus, lèvres assez menues, nez affiné, et s’il a les yeux verts, il a
tout gagné ! On attend également du bon métis une attitude sage et éduquée. Pourtant, à lui
de trouver un équilibre avec la personnalité solaire, la joie de vivre et l’exotisme qui lui
seraient naturels.

Un exemple saisissant est l’élection de Miss France : si les femmes métisses sont de
plus en plus nombreuses à décrocher le titre, elles répondent toutes aux mêmes critères de
beauté coloristes : des traits fins, des cheveux ondulés et la peau claire. Il convient d’ailleurs
de rappeler qu’aucune femme noire n’a jamais été élue Miss France : c’est comme si les
métisses étaient la dose maximum de diversité qu’on pouvait accepter pour représenter la
beauté en France. D’ailleurs, les quelques femmes noires représentées dans cette
compétition ne participent uniquement que sous le titre de Miss de territoires d’outre-mer :
les femmes noires ne participent jamais en tant que Miss de départements hexagonaux.
Elles sont renvoyées à un ailleurs.

On retrouve cette même limite à la diversité dans les publicités par exemple : on
survalorise la mise en scène de couples blancs et mixtes, sans jamais mettre en scène des
familles dont les deux parents et l’enfant seraient noirs. Le cinéma français ne fait pas
exception à la règle : les actrices métisses (ici, la problématique touche davantage les
femmes) sont surreprésentées par rapport aux actrices noires, même lorsque le rôle qu’elles
interprètent suppose d’être noire. Ainsi, cette volonté de tout vouloir métisser, qu’elle
intervienne dans le domaine artistique, médiatique ou même politique, instrumentalise la
lutte contre ce que certains qualifient de “menace communautariste”.

C’est donc de la validation de critères que naît le fantasme du métis. Le plus répandu
concerne certainement celui du “bébé métis”. Il consiste à ce que certaines personnes
blanches souhaitent donner naissance à un bébé métis pour la seule raison qu’ils seraient
“les bébés les plus mignons”.“Je veux trop un bébé métis” : cette injonction, qui vous est
peut-être familière, objectifie les métis avant même leur naissance. Dès lors, ils ne sont
qu’un objet de satisfaction éphémère et égoïste qui répond à un imaginaire colonial coloriste
: le bébé métis n’est désiré que s’il remplit les critères physiques énoncés ci-dessus. Cette
fétichisation du bébé métis est d’autant plus immorale qu’elle fait du ou de la partenaire
noir.e (sans qui, ce fantasme n’est pas réalisable) un simple moyen de parvenir à ses fins.
Ceci nous prouve la nécessité de démystifier, de désacraliser les couples mixtes. En
effet, ils ne peuvent être une solution au racisme : ce n’est ni valable au niveau global, ni
même au sein du couple car, peut se cacher derrière sa formation du fétichisme. En effet, de
nombreux hommes et femmes racisé.es témoignent du fétichisme qu’ils ont subi sur des
sites de rencontre notamment. Les femmes noires sont d’autant plus touchées que se
mêlent racisme et sexisme : expressions récurrentes telles que “Ma panthère”, “Ma lionne”,
“Ma sauvage”… Tout un jargon colonial qu’il serait naïf de confondre avec de la drague
« saine ». Ainsi, les enfants métis ne sont pas toujours le fruit d’une union désintéressée.
Au-delà du fétichisme sur lequel peut se former un couple mixte, on peut retrouver au sein
de ces couples du racisme banalisé : remarques ou encore humiliations que légitiment le
mariage / l’union libre entre deux individus d’origine différente.
Finalement, les critères de beauté occidentaux s’imposent aux personnes métisses
avec d’autant plus d’exigences que reposent sur elles tout le poids de la diversité française.
Elles doivent être le parfait compromis entre un exotisme, un ailleurs qui nous est étranger,
et la sécurité du local, le réconfort de retrouver en elles ce qu’on connaît déjà ici. Les
personnes métisses suscitent ainsi interrogations et mystères : “T’es de quelle origine ?”,
“Tu viens d’où ?” ou la plus flemmarde : “T’es quoi ?”. Toutes ces interrogations intrusives,
souvent adressées avant même présentation de son identité soulèvent le simple caractère divertissant et attractif qu’on donne aux métis. Ils sont une devinette, des bêtes de foire à qui
on essaye d’arracher un bout d’identité : “Je parie que t’es guadeloupéenne… ou peut être
réunionnaise ? Non je me trompe t’es d’Afrique toi !”. Ce n’est qu’une fois l’information
obtenue que l’interlocuteur s’intéressera ou non à votre personnalité. Certaines de ces
questions sont d’autant plus déplacées qu’elles assimilent immédiatement les métis à un
ailleurs, à un étranger.

Les métis sont ainsi les seules représentations qu’on donne à la diversité culturelle
française. Et par métis, on entend une fois de plus le métissage blanc-noir. En effet, même
s’il est le plus popularisé dans le paysage français, on peut se demander pourquoi une telle
surreprésentation du métissage “France-Afrique Noire” et une sous-représentation d’autres
métissages tel qu’un métissage “France-Afrique du Nord” ou “France-Asie” ? : on peut
supposer que la valorisation d’un métissage sur un autre est le reflet de l’état des relations
qu’entretient la France avec les pays dont les métissages sont issus : plus radicalement, le
métissage que la France choisit de mettre en avant est-il lié au souvenir qu’elle garde de ses
anciennes relations coloniales ? En effet, la majorité des indépendances des pays
subsahariens se sont réalisées dans le dialogue et sous le contrôle des autorités françaises,
ce qui n’était pas le cas des guerres d’indépendance algérienne ou vietnamienne
notamment, qui demeurent pour la France un souvenir douloureux, des échecs militaires
humiliants. Peut-être la rancœur française n’a-t-elle pas complètement disparu contre
l’indépendance de ces peuples ? A tel point qu’elle serait réticente à l’idée de célébrer leur
métissage en son sein ?

Le métissage que la société française met en valeur fait donc l’objet d’enjeux de mémoire, et
de choix politiques stratégiques.

Ainsi, le métissage en France est véritablement instrumentalisé à des fins politiques
en vue de renouer avec l’idéal républicain. Il est aussi survalorisé afin de décrédibiliser les
regroupements et luttes dites “communautaires”. Le métissage permet d’échapper aux
accusations de racisme tout en diffusant un semblant de multiculturalisme très limité :
sureprésentation du métissage blanc-noir, critères coloristes et discriminants du métis idéal.
De ce fait, cette fascination perverse pour le métissage est loin de faire des métis des
gagnants : ils doivent respecter des codes strictes pour être considérés. D’une certaine
manière, le métis est déshumanisé : on le dépossède de la singularité de sa personnalité
pour n’en conserver qu’un pent de son identité. Il est essentialisé à ses origines supposées.
Être métis fait aussi l’objet de crise identitaire : on peut souffrir psychologiquement du
métissage lorsqu’on en est le fruit. La société imposant aux individus de s’identifier, de
s’étiqueter de manière très binaire (sur le plan racial, du genre, de l’orientation sexuelle…)
une double identité culturelle peut-être difficilement vécue.
En effet, un malaise, un mal-être peut s’installer : est-il possible d’embrasser à sincérité
égale mes deux cultures ? Quelle place est-ce que j’occupe dans chacune de mes
communautés d’origine ? Quelle légitimité y ai-je ?
Être métis c’est ne pas pouvoir échapper à la remise en question de son identité. Face au
choix cornélien auquel on voudrait nous soumettre “Du coup toi tu te considères plus
(insérez une origine étrangère) ou (insérez une autre origine étrangère) ?” nous imposant de
ne conserver qu’un seul de nos héritages, pouvons-nous échapper à ce choix ? Comment
vivre sereinement une double culture quand elles s’y opposent radicalement ? Comment
concilier deux modes de pensée ? Autant de questions auxquelles un métis ne saura
probablement pas vous répondre ! Mais finalement, en a-t-il l’obligation ?

Eva WANDJI KAMGA

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