« Race » de Sarah Mazouz

L’année 2020 est une année qui fut bouleversée par les problèmes raciaux, notamment avec la mort de George Floyd, décédé asphyxié sous le poids d’un policier blanc à Minneapolis. La lutte contre le racisme a pris un nouveau tournant, avec des nouveaux termes notamment, émergeant dans l’espace public, non seulement en Amérique, mais également en France. C’est en 2020 que la chercheuse en CNRS Sarah Mazouz a publié son livre « Race », qui aborde ces nouveaux termes et leurs enjeux dans la compréhension du monde social dans lequel nous vivons.

Le livre souligne l’importance du terme « race » au sens social et tend à l’expliquer pour éviter toute confusion. Nous parlerons ici de « race » au sens social à chaque fois. Les races biologiques n’ont jamais existé, nous faisons tous parti de l’espèce humaine. Cependant, il existe une race « sociale ». C’est pour cela que Sarah Mazouz parle de « la race », et non « les races ». En effet, la « race » construite socialement produit des effets sur les vies et les trajectoires des individus. Pouvoir parler de race, comme de genre, ou bien de classe, permet d’exprimer la manière dont les membres de certains groupes se retrouvent infériorisé.e.s par leur assignation à cette race sociale. Ces assignations découlent de processus historiques comme l’esclavage ou bien la colonisation où la création des « races » a pu permettre d’établir des rapports sociaux hiérarchique. Les chercheurs utilisent les termes de « racisation » ou de « racialisation » pour montrer que la race est un phénomène construit, c’est notamment pour cela qu’on parle de « personnes racisées ». Elles ont été racisées par le groupe dominant, mais ne le sont pas de manière inhérente. L’ouvrage reprend l’exemple notamment des immigré.e.s Irlandais.e.s, qui étaient considéré.e.s comme non blanc.he.s jusqu’à la moitié du XIXème siècle. Ces dernier.e.s ont commencé à être considéré comme blanc.he.s, seulement après, au motif qu’ils avaient des pratiques d’oppression des esclaves noir.es puis de leurs descendant.es plus violentes que celles utilisés par les WASP.

Nous pourrions nous dire aujourd’hui, « mais la colonisation, l’esclavage c’était il y a longtemps, on peut abandonner ce terme, non ? Plus personne ne croit aux races aujourd’hui ! ». Or, les choses ne sont pas si simples.  Aujourd’hui, quand bien même la race ne serait pas « empiriquement valide », elle reste en revanche « empiriquement effective ». La race produit encore des effets puisque certains individus sont encore stigmatisés par des clichés qui remontent à l’esclavage ou bien à la colonisation. Ignorer la race comme grille de lecture des problèmes sociaux, c’est se priver d’un outil précieux d’analyse des discriminations et des faits sociaux.

En effet, il est possible de mélanger les critères pour comprendre les trajectoires, les expériences de vie, et le monde social. L’autrice évoque notamment le triptyque race, classe, genre, auquel on pourrait ajouter notamment l’âge, le handicap, ou l’orientation sexuelle. Combiner ces configurations permet de comprendre avec plus de précision ce qui se passe dans notre monde social et dans nos interactions, c’est l’intersectionnalité. Pourtant, aujourd’hui, des tribunes, des journaux en tout genre dénoncent cette inclusion de la race dans les travaux scientifiques, mais également des universitaires qui prônent la sacré sainte classe comme au centre de la grande majorité des déterminismes sociaux. Or, c’est oublier que la race, elle aussi a une influence. Ce n’est pas parce qu’on parle de la race que l’on va arrêter de parler de classe. Le but de l’intersectionnalité est justement, de croiser les paramètres afin de mieux comprendre ce qui se joue au sein de notre société. La race n’est pas l’antagoniste de classe. De plus, il existe de nombreux travaux mêlant classe et race, notamment le très célèbre Femmes, race et classes, de Angela Davis.

Pour revenir à notre hexagone, aucun musée en France n’a soutenu le mouvement #BlackLivesMatter en France. Or, c’est le cas aux Etats-Unis avec le MOMA (Metropolitan Museum) qui a publié sur son site « We all stand for the black community ». C’est également le cas en Grande-Bretagne avec le British Museum. La France, au titre de son universalisme républicain, semble « ne pas voir la couleur », « ne pas voir les différences ». Cette idéologie du « colorblindness » semble se placer à côté du problème, l’ignorer plutôt que de le prendre de front et le combattre. Le gouvernement actuel semble davantage fustiger les partisans du décolonialisme plutôt que de réellement condamner le racisme. Il semble qu’il y ait encore un grand chemin à faire. L’universalisme ne serait-il pas à remettre en question, pour que nous puissions bâtir une République plus inclusive de toutes et de tous ?

« Race » est un ouvrage accessible à toutes et à tous, même à ceux qui débutent dans leur quête d’anti-racisme. Il définit les bases de la question raciale avec finesse et précision. Ancré dans l’actualité, il fait écho aux nombreux discours que l’on entend partout.

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