Depuis 1945, Paris prône un strict contrôle des naissances dans ses colonies. Il y a un cas emblématique dans ce crime d’État : c’est celui de la Réunion où des milliers d’avortements et de stérilisations forcées ont été pratiqués par des médecins blancs.
C’est en juin 1970 que le scandale éclate au grand jour. A la Réunion, dans la clinique Saint-Benoît dirigée par le Docteur Moreau, des milliers d’avortements sont pratiqués sans consentement des femmes ainsi que des stérilisations forcées. Le phénomène aurait déjà commencé dans les années 1964-65-66 jusqu’à ce que son ampleur soit découverte en 1970. La rumeur est prouvée.
A ce moment là l’avortement est interdit en métropole. Juste après la guerre, quand l’État français est en train de se reconstruire, il décide que ses anciennes colonies qui vont devenir des départements français en 1946, ne sont pas à développer. Le développement serait impossible à cause de la surpopulation, les deux solutions possibles sont donc l’immigration et le contrôle des naissances. Alors que le contrôle des naissances est criminalisé en métropole, il y a tous les jours à la radio une propagande à la Réunion. Le contrôle est planifié et délibéré. Les médecins recommandent aux réunionnaises enceintes d’aller dans cette clinique, ainsi que les bureaux de protection maternelle infantile ou bien encore les centres de planning familial. Il y a tout un réseau de complicité qui se met en place. La Sécurité sociale est aussi impliquée dans l’affaire : ses remboursements sont détournés par les médecins qui facturent d’autres actes d’opérations chirurgicales à un coût plus élevé. Des millions de francs de l’époque entrent dans les poche de la clinique et des médecins.
16 000 naissances annuelles, 8 000 avortements par an et 3 avortements forcés par jour.
Pour Françoise Vergès dans son livre Le ventre des femmes (2017), cette affaire a une dimension profondément raciste. En France métropolitaine, on encourage à faire des enfants, à l’aide de discours, d’allocations familiales, de construction de crèches, etc. C’est une politique et un choix d’État de décider de qui doit naître, qui peut naître et qui n’a pas le droit de naître. L’autre n’a pas les mêmes droits, celui de donner la vie.
Sous l’esclavage et le colonialisme, les femmes doivent faire des enfants pour fournir une main d’œuvre. Le paradigme change post Seconde Guerre mondiale, où les femmes du Tiers-Monde sont accusées de faire trop d’enfants et d’être la cause du sous développement de leur pays. La France applique alors cette politique dans ses départements d’outre-mer, omettant ainsi de remettre en question le résultat de plusieurs siècle de politique coloniale
La natalité est en fait un facteur important dans la volonté politique de pacification et de bâillonner toute idée de rébellion. Françoise Vergès met en avant que les femmes concernées étaient non seulement pauvres mais aussi en majorité non blanches, noires.
Le procès de toute cette affaire a lieu en février 1971, alors même que deux mois plus tard sort le “Manifeste des 343 salopes” publié dans Le Nouvel Observateur. Ces femmes, personnalités plus ou moins connues reconnaissent avoir eu recours à l’avortement alors même qu’il est interdit en France. Ce même journal national, Le Nouvel Observateur avait pourtant publié en Une l’affaire des avortements forcés de la Réunion. Il y a comme deux poids deux mesures alors, le féminisme émergent à l’époque ne semble pas vouloir se pencher sur des problèmes concernant les femmes d’outre-mer.
Dans son documentaire “Les 30 courageuses : une affaire oubliée” diffusé sur – feu – France Ô, la réalisatrice Djamila Buzkova a permis de faire ressurgir cette affaire et de donner la parole aux protagonistes de l’époque. Sur les milliers de femmes concernées, une grande omerta ne pousse finalement que 36 femmes à porter plainte. En 2019, le député Jean-Hugues Ratenon (LFI) accompagné de plusieurs autres députés a demandé la mise en place d’une Commission d’enquête. Le but est d’“établir fidèlement l’ampleur des événements et l’étendue des responsabilités personnelles et institutionnelles et d’évaluer le plus précisément possible le nombre de victimes”.
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