Ce que le « racisme anti-blanc » dit sur notre incompréhension du racisme

Les tenant.e.s d’un « racisme anti-blanc » ne comprennent pas ce qui définit le racisme. La multiplication des débats autour de l’existence d’un « racisme anti-blanc » révèle assez dramatiquement que le réel dissensus tourne autour de la question « qu’est-ce le racisme ? » Est-ce que nos dictionnaires réduisent – ou élargissent – le racisme à la discrimination d’une race X vers une race Y ? En principe, absolument pas. L’Académie française définit le racisme comme « un ensemble de doctrines selon lesquelles les variétés de l’espèce humaine, appelées races, principalement distinguées par leur apparence physique, seraient dotées de facultés intellectuelles et morales inégales, directement liées à leur patrimoine génétique. Par extension, préjugé hostile, méprisant à l’égard des personnes appartenant à d’autres races, à d’autres ethnies ».

Le racisme est une doctrine. Le racisme n’existe que lorsqu’il est le reflet d’une construction théorique dont il tire toute sa violence. C’est ce racisme qui a oppressé, nié et discriminé l’Autre, devenu alors racisé. Le racisme est un système structurel bâti par la majorité dominante, en l’occurrence blanche, détenant pouvoirs, privilèges, et outils de dominations. La notion de minorité n’est pas numérique mais bien sociale (Colette Guillaumin) : les racisé.e.s constituent une minorité par le racisme dont ils font l’expérience de la même manière que les femmes constituent une minorité par le sexisme dont elles font l’expérience. Il ne suffit pas qu’il y ait une personne blanche face à deux personnes noires pour que le rapport de force racial s’inverse, parce que la race s’inscrit dans une dimension plus large, une dimension sociétale et non pas seulement factuelle. Autrement dit, le racisme ne se résume pas à des actes : ces derniers découlent du racisme et pas l’inverse. L’indigène a été pensé inférieur – doctrine – avant d’être colonisé – actes. Le racisme est concrétisé par des comportements qui sont eux-mêmes le résultat de doctrines qui les conditionnent et justifient. Ce qui est qualifié de « racisme anti-blanc » est dénué de doctrine, le mot « racisme » n’a donc pas lieu d’être.

Les partisan.e.s d’un « racisme anti-blanc » présentent en effet les blanc.he.s comme potentielles victimes d’attaques racistes, concrétisées par des agressions verbales voire physiques prenant appui sur un mépris de la blanchité : « sale blanc.he », « babtou », « petit.e blanc.he ». Ces insultes sont en réalité assez creuses en langage racial, c’est-à-dire non affiliées à des préjugés construits et racialement connotés de façon péjorative. La blanchité est valorisée pas nos sociétés parce qu’elle a été assimilée à ce qu’il y a de pur, puissant et légitime. Insulter le blanc est en ce sens ridicule si cette insulte se veut raciale. Le blanc n’est pas assimilé à des conditions animales ou sauvages qui font référence à ce qui a été réel pendant l’esclavage et la colonisation. Autrement dit, rabaisser une personne sur sa blanchité n’a pas cette profonde et violente consistance qui résonne comme logique par ses mécanismes de répétitions. Le racisme comprend une violence raciale, ce que communiquent les joueurs de football Samuel Eto’o, Mario Balotelli et Samuel Umtiti dans le documentaire réalisé par Olivier Dacourt et Marc Sauvourel pour Canal+ Je ne suis pas un singe. Ces joueurs noirs, de nationalités respectivement camerounaise, italienne et française, témoignent du racisme dans le football qui s’est manifesté pour chacun à plusieurs reprises par des cris de singes de la part des supporters. Le « racisme anti-blanc » n’a pas à être comparé au racisme réel en ce sens. L’exemple du football a le mérite de montrer que le racisme est d’une telle densité qu’il est universel. Contrairement au « racisme anti-blanc », le racisme est donc reconnaissable par un travail de connotation des mots qui a été établi et répandu. Ces derniers résonnent aujourd’hui avec une réalité sociale et historique. Il n’existe en ce sens pas de mots aussi sensibles que le n-word, pas de geste aussi récurant que le contrôle au faciès et pas de mentalités aussi façonnées que l’imaginaire occidental de l’« Autre ». Il n’existe ni équivalence ni matière à comparer. Le sociologue Eric Fassin l’exprime assez clairement :

« Le racisme antiblanc n’existe pas pour les sciences sociales ». Aussi difficile à comprendre cela soit-il, un « sale blanc » n’a donc rien à voir avec un « sale noir ».

Ce premier point permet d’en comprendre un autre : le « racisme anti-blanc », qui serait individuel et non structurel, n’est pas un racisme, parce que le racisme ne peut se détacher des structures dont il tire sa vitalité. Des actes individuels n’ont pas la capacité à relever du racisme. Lorsque que la société est raciste dans sa structure, il en découle des représentations plus ou moins dévalorisantes des races qui sont intégrées et normalisées par les individus. L’individu ne crée pas le racisme, encore moins le « racisme anti-blanc » dans nos sociétés déjà racialisées vers des groupes précis – noirs, arabes, asiatiques entre autres. Dans une courte interview publiée par melty le 23 janvier dernier, un homme noir explique à sa fille comment le racisme dépasse les actes jusqu’à s’inscrire dans une réflexion permanente : « Quand un policier va m’arrêter pour me demander mes papiers, j’aurai toujours cette petite musique : ‘si j’étais blanc, est-ce qu’il m’aurait contrôlé ?’ ». Cette « musique » dont il parle est l’image d’une inquiétude constante qui révèle la conscience d’un racisme à la fois ordinaire et explicite. Si les blanc.he.s étaient victimes de racisme, cela supposerait qu’ils/elles aient des réflexes de pensée quant à la manière dont ils/elles sont perçu.e.s inférieur.e.s. Il n’apparaît pourtant ni mesuré ni justifié que les blanc.hes développent un sentiment de crainte qui ne s’impose pas : une personne blanche est en effet rarement réduite à sa couleur de peau de manière discriminante. Ainsi, aucune logique d’inversement n’est possible lorsque l’on parle de racisme car l’individu ne peut renverser le poids des préjugés racistes et les discriminations issus des structures. Le racisme individuel n’a pas de sens car un acte individuel n’est pas suffisant à la notion de racisme.

L’argument d’un « racisme anti-blanc » à l’échelle individuelle dans les quartiers populaires ou les banlieues est par conséquent maladroit. Ces quartiers n’échappent pas aux représentations qui définissent la race blanche, la race noire, arabe ou autre et qui s’inscrivent dans des structures plus larges qu’une zone donnée. Le blanc qui entre dans un espace où les blanc.hes ne sont pas majoritaires numériquement ne se voit ni redéfini, ni dépossédé de ses privilèges. Les quartiers populaires ne sont pas des créateurs d’un nouvel imaginaire du blanc et du racisé. Le « racisme anti-blanc » est quant à lui une création des politiques de l’extrême droite des années 1980 visant à alimenter une peur et un rejet de l’Autre. Bien qu’il soit aujourd’hui largement repris par la des personnalités politiques de droite – Jean François Copé, François Fillon – ou certaines de gauche – Najat Vallaud Belkacem, le « racisme anti-blanc » constitue davantage une invention politique qu’une réalité sociale. Il s’intègre dans une politique qui véhicule des clichés sur les banlieues. Ces clichés conditionnent les populations issues de l’immigration dans les rôles du délinquant, du communautariste et maintenant du raciste. C’est un discours qui vise à créer la crainte face à l’Autre. Le blanc est présenté comme une victime différente car nouvelle. Ne pouvant s’appuyer sur tout ce qu’il y a d’objectif, c’est-à-dire l’histoire et la réalité sociétale jouissant d’une légitimité scientifique, les tenants d’un « racisme anti-blanc » jouent sur les émotions comme la peur, une peur liée à un racisme qui s’inverserait, une peur liée à un privilège qui disparaîtrait.

Pourtant, le thème du « racisme anti-blanc » est développé en dehors du champ politique. Se confrontent alors les études qualitatives qui dénoncent un « racisme anti-blanc » avec des études quantitatives qui tentent d’apporter une lecture statistique compréhensive.

Le « racisme anti-blanc » est analysé comme un phénomène qui se généralise principalement dans les banlieues, les quartiers populaires et leurs écoles. Ceux qui défendent ces thèses définissent parfois leur analyse comme apolitique. C’est le cas de Tarik Yildiz, diplômé de Sciences Po Paris et âgé de 25 ans lorsqu’il publie en 2010 un court essai de 60 pages : Racisme anti-blanc, ne pas en parler, un déni de réalité. La démarche de l’auteur regroupe sept témoignages qui dénoncent un « racisme anti-blanc » présent dans les écoles des quartiers défavorisés d’Île-de-France. Il décrit alors une haine du « Français de souche », exercée par les groupes d’élèves « issus de l’immigration » sur les blanc.he.s en minorité numérique. T. Yildiz développe l’exemple d’une classe de 6ème dans laquelle les trois élèves blancs de la classe subiraient des insultes, coups et exclusions en raison de leur appartenance supposée aux « Français de souche ». Ce sont des jeunes de 11 ans qui sont ici qualifiés de « racistes anti-blanc ». Le harcèlement scolaire semble davantage approprié et pourrait s’expliquer par un sentiment de différence socio-culturelle. Pour rester sur cet exemple, le harcèlement scolaire est un phénomène de masse, cela ne veut pas dire qu’il s’exerce massivement contre les blanc.he.s d’une part, ou qu’il relève du « racisme anti-blanc » d’autre part.

Les études comme celles-ci apparaissent maladroites car elles généralisent des expériences très difficiles à mesurer, à analyser ou à nommer ; arriver à la conclusion que cela correspond à un phénomène de masse relève d’un imaginaire lié à un regard dépréciatif porté sur les banlieues. Il est d’une extrême complexité de quantifier le racisme, encore plus de classifier celleux qui le subissent selon leurs origines ethniques. Néanmoins, l’INED (Institut national d’études démographiques) a mené une enquête statistique « Trajectoires et origines, la place du racisme dans l’étude des discriminations » dirigée par Christelle Hamel, Maud Lesné, Jean-Luc Primon. Elle admet d’abord que la thématique est rarement documentée par les chercheurs dans l’étude des comportements et des opinions des classes moyennes et supérieures. Elle apporte des éléments qui permettent d’appréhender le sentiment de la population majoritaire (blanche). 26% de la population dite « majoritaire paupérisée » dit avoir vécu une situation raciste. Parmi ces 26%, 1% ont subi à la fois du racisme explicite et du racisme ordinaire, contrairement aux populations minoritaires qui confrontent majoritairement les deux. L’INED reconnait qu’il « est difficile de comprendre ce qu’ils déclarent exactement, il est possible qu’ils déclarent autre chose que du racisme. Il se peut qu’ils déclarent un racisme « anti-pauvre » ou un racisme « anti-jeune », faute de vocabulaire spécifique pour nommer ces phénomènes. ». Le débat se recentre alors sur ce que définit le racisme et sur la délimitation de ce que le terme englobe. Les chercheurs apportent plusieurs conclusions sur l’interprétation de ce qui est perçu comme du « racisme anti-blanc ». Ils attirent l’attention du lecteur et de la lectrice sur le « degré de sensibilité » des populations majoritaires blanches ayant dit avoir vécu une situation raciste et sur le sens que prend pour ces majoritaires le qualificatif de « racisme ». Lorsque Rokhaya Diallo explique dans un tweet qu’elle n’acceptait pas qu’une femme blanche lui explique comment agir en tant que femme noire (whitesplaining), l’organisation de lutte contre le racisme anti-blanc la qualifie automatiquement de raciste anti-blanc.

Nommer les faits est délicat, surtout lorsque les défenseur.euse.s d’un « racisme anti-blanc » finissent par accuser ce qui ne conforte pas le blanc dans sa légitimité comme raciste. Comprendre et s’efforcer de mettre des mots sur les actes est une nécessité certes difficile, mais qui éviterait l’utilisation du mot « racisme » qui fait de toute évidence l’objet d’une mauvaise compréhension. Des réflexions quant à la manière de qualifier ce qui est nommé à tort « racisme anti-blanc » peuvent être menées. Parler d’« agression » (Eric Fassin) ou de « mépris » semble plus rigoureux lorsque c’est justifié. Une personne blanche peut être agressée ou méprisée car elle est blanche, elle ne peut en revanche être racisée car cela relève d’éléments spécifiques au racisme.

Ce problème est présent à chaque fois que les médias titrent maladroitement « racisme anti-blanc » à la moindre occasion pour décrire des cas isolés comme celui de Nick Conrad. Pour rappel, Nick Conrad est un rappeur qui poste en septembre 2018 un clip de son morceau « Pendez les blancs ». Dans ce dernier, il décrit les meurtres qui étaient commis pendants l’esclavage ou la ségrégation, seulement en remplaçant le mot « noirs » par le mot « blancs », créant ainsi un effet d’inversion. Ces descriptions font des références précises permettant de se rendre compte assez facilement que Nick Conrad n’a pas voulu faire un appel à la pendaison des blanc.he.s :

« Pendus aux arbres dans le vide sidéral

Que ces fruits immondes procurent un spectacle fascinant »

Ces lignes sont des références aux exécutions orchestrées par le Ku Klux Klan durant la ségrégation raciale. Pourtant, la violence du clip est mal reçue car elle s’exerce contre des blanc.he.s, ce qui peut porter à confusion quant au message véhiculé. Le refrain au rythme de « Pendez les blancs, pendez-les tous » est alors pris au premier degré. Le procès a suivi la médiatisation avec les parties civiles représentées par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (AGRIF). L’AGRIF a le mérite d’être cohérente en tant qu’association d’extrême-droite, la LICRA en revanche a une attitude bien plus contestable. Me Yaël Scemama (LICRA) affirme que « ces textes enveloppent ce clip de prémices d’un discours de haine et montrent qu’il s’inscrit dans une vague de racisme anti-blanc ». La lutte contre le racisme semble au travers la position de la LICRA s’universaliser. Leur avocate elle-même admet durant un réquisitoire qu’elle ne sait pas trop ce qu’une association antiraciste fait de l’autre côté de la barre. C’est pourtant le cas : une association antiraciste accuse un homme noir d’être un raciste anti-blanc.

Comprendre le racisme est complexe dans nos sociétés occidentales où le principe d’égalité est présenté comme pierre angulaire des Etats de droit. L’utopie égalitariste s’impose dans les imaginaires comme relevant d’une réalité alors qu’elle constitue davantage un objectif. En pratique, nous ne sommes pas tou.te.s égales et égaux face au racisme car les inégalités et discriminations persistent. En ce sens, l’égalitarisme produit un confort psychologique qui enferme nos représentations collectives alors dissimulées derrière un voile de l’ignorance appliqué à la question raciale. Le racisme devient de plus en plus banalisé ou mal compris dans des sociétés où nous sommes supposés être sur un pied d’égalité : si une personne noire peut expérimenter du racisme, alors une personne blanche le pourrait également. Cet imaginaire d’égalité crée la color blindness : ne plus voir la race afin d’éviter tout comportement raciste, en supprimant le mot « race » de la Constitution française par exemple. Il a certes été admis que la race n’existait pas scientifiquement, néanmoins force est de constater qu’elle existe toujours aujourd’hui à travers le racisme. Colette Guillaumin le résume ainsi : « C’est très exactement la réalité de la « race ». Cela n’existe pas. Cela pourtant produit des morts ». Ne plus voir la race revient à ne plus voir le racisme. La volonté pacificatrice devient une manière de détourner les regards du racisme réel. Le racisme est banalisé et réduit à une simple définition « attaquer une personne en raison de sa couleur de peau ». Notre compréhension du racisme se défait de tout ce qui le définit réellement.

Traiter du « racisme anti-blanc » nécessite enfin une part d’humilité et un certain recul. Il y a une part d’inconnu dans cette thématique, qui peut s’expliquer par les rares études sur le sujet. Le racisme renvoie pourtant à des éléments précis. Cela demande une prise de position claire et non relativiste quant au « racisme anti-blanc ». Les sciences sociales apportent des réponses qui peuvent porter à confusion mais qui ne tolèrent pas la qualification de « racisme anti-blanc ». L’agression qui s’appuie sur la blanchité est marginale et ne constitue pas un phénomène doté d’une certaine logique ou récurrence. Ce sont les faits : il est délicat d’estimer à quel niveau les blanc.he.s peuvent vivre des attaques s’appuyant sur leur couleur de peau. Le « racisme anti-blanc » tire sa légitimité en premier lieu d’une idéologie et d’une part d’inconnu manipulée. A cela ajoutons enfin que nos opinions sont le résultat de ce que nous entendons ou vivons à titre personnel ou collectif, de l’information qui nous interpelle, des images ou des discours qui nous orientent. Cela constitue et reste donc un imaginaire, une représentation, qui risque de s’emparer de nos rapports à l’Autre et de la place que détient réellement chaque groupe identifié racialement dans la société. On ne peut pas inverser la réalité (le racisme), mais on peut en inverser sa représentation (le racisme anti-blanc).

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