La construction de l’identité « métisse » : entre négation et colorisme

Si l’appellation « métis » renvoie historiquement à des logiques méprisantes de catégorisation des individus à travers un prisme colonial occidental, il semblerait qu’elle soit aujourd’hui source d’une certaine forme de fascination. Ce mélange entre 2 personnes profondément différentes physiquement et culturellement, se rapporte effectivement dans l’imaginaire collectif d’un côté à une dimension très sexualisée de la rencontre de ces corps qui produirait un individu exceptionnel, de l’autre à une cassure dans la pureté du processus de reproduction. Être métis.se revient souvent à se savoir perçu par autrui différemment de la façon dont on se perçoit soi-même, et parfois péjorativement. « Alors, t’es quoi ? » …Mi l’un, mi l’autre ?

 

Notons avant tout que les sociétés ont adopté des attitudes différentes concernant le concept de métissage. Dans la France du début du XXe siècle, lorsque s’est posée la question du statut des enfants nés d’une union entre un.e français.e et un.e « indigène », c’est l’assimilation qui a été décidée. En effet, un décret de 1928 dans le Journal Officiel stipule que ces fameux « métis » doivent être « présumés de race Française », et donc jouir d’une citoyenneté de plein droit, ce qui a, dans certains cas, engendré des rapatriements forcés sur le territoire français. A l’inverse, les Etats-Unis de la même époque ont penché pour le refus absolu de la considération du concept de métissage avec la « One Drop Rule ». Alors que ce principe social et légal de classification raciale affirmant que la possession d’un seul ancêtre d’ascendance sub-saharienne (d’une « seule goutte de sang noir »)vous rend automatiquement impur.e et vous place dans la catégorie « Black » a disparu, il influence encore les visions d’appartenance ethnique au sein de la société. En l’occurrence dans un formulaire américain où l’on souhaite connaître votre « race », le choix doit être fait entre les cases « White », « Hispanic », « Asian », « Black » ou « Other » : la nuance n’est pas vraiment de mise. Il s’agit de délimiter, de simplifier et d’adapter les identités pour qu’elles confortent la majorité.

 

En tant qu’individu issu du métissage, il est alors courant au fil de ses socialisations de se sentir obligé.e de trancher et de choisir un seul aspect de son identité pour pouvoir cohabiter avec celui ou celle qui se considère uniforme. Et ce, parfois même au sein de sa propre famille, où peut se développer et se cristalliser une binarité au rôle scindant car à la fois physique et spatiale. La construction individuelle s’en trouve influencée, présentée comme destinée à être le fruit d’un tiraillement. Paradoxalement, si le regard extérieur associe fréquemment l’individu métis au groupe ethnique différent du sien – l’homogénéité étant considérée comme condition d’existence des groupes –, l’expérience du racisme est souvent invisibilisée, notamment en raison de la nuance, du presque : pas assez foncé.e ou trop clair.e pour que les propos ou actes racistes soient perçus comme crédibles ou graves. Et puis s’il existe des individus issus d’union mixte, c’est bien que la société a dépassé les clivages et le racisme…

 

Tous ces schémas de pensées concourent alors à leur manière à l’encrage du colorisme, nom donné au principe de hiérarchisation des teintes de couleur de peau, la plus claire étant la plus valorisée. Autant institutionnellement que de façon intériorisée, cette discrimination touche de manière encore plus violente les femmes racisées, qui subissent à la fois les injonctions des standards de beauté dits féminins et occidentalo-centrés. Depuis quelques années, les médias se sont accordés pour offrir une représentation des noirs majoritairement à travers des acteurs et modèles à la peau très peu foncée. Les individus pourvus des caractéristiques traditionnellement attribuées aux « métis », à savoir une peau bronzée et des traits que l’on qualifierait de « négroïdes, mais pas trop », sont alors devenus des versions acceptables des communautés afro-descendantes : plus clairs, donc plus beaux, donc plus bankables. Cette fascination flirte avec le fétichisme car s’accompagne d’une certaine objectification – la tendance est à l’obsession d’avoir un bébé métis à la peau « caramel », « chocolat » ou « café au lait » – et d’une hypersexualisation – le fantasme de la beauté des îles, exotique et sauvage dans la limite du raisonnable, persiste.

 

Les associations hasardeuses et maladroites comme celles-ci ne sont pas synonymes d’une société post-raciale comme certains le croient, mais plutôt nocives et symptomatiques d’un imaginaire collectif problématique qui saute à pieds joints dans la confusion entre les notions de nationalité, origines et couleur de peau. Si l’identité métisse apparaît complexe à saisir en raison de son caractère multiforme et de sa remise en question de la compréhension traditionnelle de ces notions justement, c’est peut-être qu’il existe autant de définitions que d’individus qui en font l’expérience. Les points communs qui existent, notamment face au racisme et dans la recherche d’un équilibre entre les différents héritages qui participent à la construction individuelle, découlent alors de nos réflexes de catégorisation racialisants, qu’il s’agirait de repenser.

 


Camille Haba

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