La musique joue un grand rôle pour créer ou accompagner les mouvements d’indépendance particulièrement en Afrique lusophone où elle permet de suivre la chute de l’empire portugais, comme c’est le cas en Angola où la culture musicale est très liée au sentiment national ou encore en Guinée-Bissau avec le Goumbé. La musique et la poésie permettent notamment de propager des messages auprès de la population. Il est de ces œuvres comme Monangambe qui mettent en lumière ce lien si particulier entre musique et indépendance qui est assez symptomatique des anciennes colonies portugaises, les dernières à acquérir leur indépendance à partir de 1974.
Ruy Mingas, l’interprète, s’initie à la guitare et à la richesse musicale du patrimoine angolais auprès de son oncle, le compositeur Liceu Vieira Dias, âme du fameux groupe Ngola Ritmos. Ce groupe réinvestit dès les années 1940 des instruments traditionnels et célèbre la culture angolaise tout en éveillant les consciences. Il rencontre un très grand succès. Professeur d’éducation physique et athlète de haut niveau, Ruy Mingas était même, dès 1958, footballeur au sein de l’équipe du Benfica Lisbonne après y avoir étudié. En 1969, il enregistre Africa Negra, un album reprenant des morceaux des plus grands compositeurs angolais dont un des grands classiques de son oncle Liceu, qui fut arrêté en 1959 sous la dictature de Salazar. Ruy Mingas est lui aussi arrêté, enrôlé de force dans l’armée portugaise et envoyé sur le front bissau-guinéen en 1962. C’est là qu’il compose le titre Monangambe sur un texte d’Antonio Jacinto, militant du Mouvement Populaire de Libération de l’Angola déporté au Cap-Vert et qui dénonce l’exploitation du Noir par le colon. Ce titre devient un véritable hymne de la lutte pour l’indépendance et le symbole d’une génération. Ruy Mingas sera d’ailleurs le co-auteur de l’hymne national de l’Angola.
Le titre Monangambe est un synonyme du mot contratado, que l’on pourrait traduire par contractuel. C’est un statut apparu dès 1876, cinq ans après l’abolition de l’esclavage au Portugal. C’étaient des contrats que signaient les Capverdiens et Angolais pour aller travailler, loin de leurs foyers, dans les plantations de cacao ou de café des propriétaires blancs à São Tomé ou en Angola. Le statut de contratado représentait une continuité du système esclavagiste, bien que formellement ils aient le statut d’hommes libres, avec des contrats qui limitaient leur présence à São Tomé et Principe à trois ans. Un tel système est possible notamment grâce à des lois qui criminalisaient les personnes sans emploi et qui les condamnait à du travail forcé à Sao Tomé.
Les paroles dénoncent explicitement l’exploitation des Noirs des colonies portugaises par les Portugais notamment à travers des métaphores exprimant leur souffrance: « Ce rouge cerise, ce sont les gouttes de mon sang faites sève » ou encore « Le café sera grillé, piétiné, torturé, Il deviendra noir de la couleur de l’engagé ». La répétition de « Qui? » montre aussi l’importance des Noirs qui sont les véritables producteurs de richesse dont les colons blancs profitent et grâce auxquels ils s’enrichissent, dans une volonté d’éveiller un sentiment de fierté auprès des Angolais. De telles paroles permettent de provoquer une prise de conscience mais aussi de dénoncer l’asservissement pour réveiller le sentiment national. Ces mots qui jouent et jonglent entre douceur des fruits et souffrance du travailleur attaquent également le modèle alors répandu du lusotropicalisme, une idéologie mise en place par le Portugal qui mettait en avant les colonies comme faisant partie à part entière de l’Empire portugais et prétendant une égalité entre colonies et métropole, qui ne sera que fictive.
Cette chanson survient dans un moment où différents mouvements d’indépendance angolais luttent contre le Portugal, après que ses voisins acquièrent l’indépendance dans les années 1960. Le Mouvement Populaire de Libération de l’Angola (MPLA) est depuis 1956 le fer de lance de contestation politique. Il est soutenu par Moscou puis Cuba mais aussi par les autres pays socialistes d’Afrique. Au Nord, le Front National de Libération de l’Angola combat également le pouvoir portugais et est soutenu par les Occidentaux et leurs alliés africains qui veulent empêcher la propagation du communisme en Afrique. Enfin l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (l’UNITA) se réclame du socialisme démocratique. Ces trois mouvements luttent ensemble contre le colon portugais, bien que leurs disparités mènent à une guerre civile après la libération de l’Angola.
Cette chanson et ses paroles rappellent fortement un hymne de la déesse aux pieds nus, Césaria Evora et son titre Sodade. Elle y décrit une situation où deux amants sont séparés, l’homme devant partir pour Sao Tomé pour travailler dans des plantations, comme ce sera le cas de 75 000 autres Capverdiens.
Votre commentaire