Le blackface, humour ou visage d’un racisme structurel ?

Le blackface désigne pour une personne non-noire le fait de se maquiller en noir . Au delà de ca il s’agit de reprendre les caractéristiques physiques supposées des personnes noires et d’en faire un déguisement. Maquillage charbon, lèvres écarlates, perruque afro… Cela s’accompagne généralement de stéréotypes racistes. Alors le blackface; simple caricature à visée humoristique ou geste raciste ? Même si son usage reste souvent tourné à la derision nous allons voir en quoi cette pratique s’ancre directement dans un héritage historique raciste.

Quand est ce qu’apparaît le blackface

Le blackface apparait pour la première fois au XVIIème siècle lors des représentations d’Othello de Shakespeare. Faute d’acteurs noirs pour jouer le personnage, des acteurs blancs se grimaient en noir afin d’interpréter le personnage éponyme. Cette pratique reste monnaie courante jusqu’au milieu du XXème siècle. Mais c’est aux Etats Unis à partir du XIXème siècle que le blackface prend une tournure ouvertement raciste.

Le Minstrel show, le blackface comme genre à part entière

Le blackface devient un genre à part entière dans l’Amérique esclavagiste puis ségrégationniste du XIXème siècle. Lors des Ministrels shows des comédiens blancs se grimaient en noir, et accompagnaient leur prestation d’une gestuelle simiesque et de manières grotesques, en prétendant imiter les Noirs. Ces derniers apparaissent alors dans ces spectacles comme ignorants, stupides, superstitieux, lubriques et doués pour le chant et la danse. L’objectif est de se moquer du Noir asservi et lui rappeler sa bêtise et son infériorité présumée. Cette dernière était mise en scène de façon differente. D’une part dans certains spectacles les personnages de maître blancs faisaient subir des sévices inhumains aux personnages d’esclaves. Cela a amené des Blancs à prendre conscience de la réalité de l’esclavage alors qu’ils venaient pour en rire. D’autre part certaines créations datées pour la plupart d’après 1850 montrent des esclaves heureux de leur condition. Ces personnages cherchaient à plaire à leurs maîtres en adoptant une attitude servile et en chantant et dansant à leur gloire.

Jim Crow, symbole d’une Amérique raciste

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Le personnage de Jim Crow

Crée par Thomas Darmouth, pionnier du blackface, Jim Crow devient le personnage de Minstrel le plus utilisé. Il est au blackface ce qu’est Guignol à la marionnette. C’est ce nom de Jim Crow qui sera utilisé par les législateurs pour nommer la loi de ségrégation raciale. Cette loi grave dans le marbre la séparation entre les Noirs et Blancs aux Etats-Unis. La formule “Separate but equal” mise en avant par les défenseurs de cet apartheid masque lamentablement les inégalités et la domination économique, politique et sociale dans laquelle sont plongés les populations noires. Cette loi a perduré jusqu’en 1964, moment où le mouvement des droits civiques parvient à obtenir son abrogation. La pratique du blackface reste donc associée à ce système législatif, véritable institutionnalisation de l’oppression raciale.

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Illustration des pratiques ségrégationnistes aux USA

Les héritiers des Minstrels : Michel Leeb and co

Le blackface s’il a disparu de sa forme originelle que représentaient les Minstrel shows a perduré sous d’autre formes dans les arts et la culture occidentale. Au cinéma le film “Birth of a Nation” (1915) constitue un des premiers succès cinématographique et met en scènes des acteurs grimés en noir. Il présente les afro-américains comme de dangereux violeurs desquels le Ku Klux Klan doit protéger la pureté des femmes blanches. Comme exemple plus contemporain on a l’affiche du spectacle “Ténor” de Michel Leeb. Au-delà de la pratique du blackface sur l’affiche, c’est le contenu de certains de ses sketchs qui peut soulever des interrogations.

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L’affiche du spectacle « Ténor » de Michel Leeb

En effet son personnage de « l’Africain » caricature avec force de clichés racistes la personne noire. Accent prononcé à la limite du grotesque roulant les R pour un rien, représentation d’un personnage simplet, ponctuant chaque phrase d’un rire stupide et niais, narines énormes confondues avec des lunettes de soleil et gestuelle de « singe ». En cela il s’inscrit totalement dans la lignée des Minstrels et contribue à véhiculer les clichés racistes. Pour Rama Yade dans son ouvrage « Noirs de France » : « en jouant avec l’inconscient collectif de son public, Michel Leeb, grimé en noir et les lèvres rougies, a construit sa carrière d’humoriste sur ces clichés, notamment le supposé accent africain présenté comme la manifestation d’un handicap intellectuel, sans que, pendant longtemps, personne ne s’en étonne ».

 

Le blackface présent dans les traditions françaises

Le blackface évoque une histoire douloureuse aux Etats Unis. Mais “l’américanité” de cette histoire ne doit pas servir d’excuse pour se dédouaner du racisme dont ce geste est imprégné. En effet cette histoire si l’on s’y penche bien, ressemble en certains points à l’histoire Française à la différence près que le blackface n’est pas nommé. Les caricatures racistes ont prospéré pendant longtemps et ouvertement dans l’espace public francais, dans les arts et la culture. Et elles continuent aujourd’hui à circuler. Par exemple c’est depuis 1969 que le groupe des “Noirs de Dunkerque” défile au Carnaval de Dunkerque le visage recouvert de peinture noire,vêtus d’un pull à col roulé noir et de gants blancs,arborant un collier d’os autour du cou et portant une jupe de raphia accrochée autour de la taille.

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Les « Noirs de Dunkerque »

Pour l’historien Pap Ndiaye « Les caricatures violentes de ce genre ont une histoire qui est liée à des situations de dominations anciennes et à des situations contemporaines de discrimination. Bien entendu, c’est un héritage de l’histoire de la colonisation et de la mise en place du système esclavagiste: lorsque la race noire a été inventée en tant que notion, à partir du XVIIe siècle avec la mise en place du grand commerce transatlantique. C’est à partir de ce moment là que la notion de race noire émerge avec ses caractéristiques physiques, intellectuelles et morales.»

L’ignorance n’est pas une excuse

Ainsi, il n’est pas rare de voir associé à des occasions telles qu’Halloween ou une fête déguisée la pratique du blackface, et de nombreuses célébrités ont dû s’excuser après s’être affichés avec un déguisement douteux. Plus proche de nous, l’EDHEC a été épinglé pour une soirée où plusieurs étudiants se sont déguisées en personnalités noires. Or qu’il s’agisse de se déguiser en Paul Pogba, en Beyoncé ou simplement en noir la couleur n’est pas un déguisement. Il est tout à fait possible de se déguiser en célébrité noire sans se colorer le visage. Le lycée Saint Adrien de Marcq-en-Baroeul a aussi connu un tel épisode lorsqu’à une journée déguisée, des lycéennes ont été primées pour leur déguisement de “sénégalaises” brandissant une banane à la main. Tous ces exemples se sont cachés derrière l’argument de l’ignorance pour excuser leur geste. Cependant, peu importe les bonnes intentions ou la naïveté avec laquelle il est réalisé, ce geste crée un malaise.
Pour le sociologue Eric Fassin «La logique même du blackface consiste à faire de la domination raciale un jeu —alors que les Noirs en font l’expérience brutale. La preuve? Le maquillage s’enlève; c’est donc l’inverse de la race, qui fonctionne comme un stigmate permanent et constamment visible».

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La pratique du blackface par deux animateurs d’une emission grand public de la télé française

Comme la croix gammée ou le mot « négro », le blackface a une symbolique raciste inextricable d’une histoire douloureuse. Il est lié à la domination d’une partie de l’humanité par une autre. Il contribue aussi à reproduire des stéréotypes qui sont handicapants socialement et reproduisent les structures de domination. En France, la pratique du blackface témoigne davantage d’un manque de connaissance historique que d’un racisme conscient. L’histoire des Noirs en France et les questions contemporaines liées sont très peu abordées, que ce soit à l’école ou dans les médias. L’historien Pascal Blanchard parle même des Noirs comme “des oubliés de l’histoire officielle”. Le fait que le blackface soit considéré pour certains comme relevant exclusivement d’une pratique humoristique innocente montre que l’invisibilisation du concept de race au sens social et les problématiques historiques et sociales qui s’y rattachent conduit finalement à une invisibilisation du racisme.Néanmoins même si l’intention n’est pas raciste, l’acte l’est. On peut se demander ce qui conduit des individus dont la visée n’est pas raciste à commettre des actes qui le sont finalement. Pourquoi parmi tous les ressorts comiques existants utiliser celui là ? Pourquoi est ce drôle pour celui qui le fait ? Pour son public ? De quoi et de qui plaisante t-on ? C’est dès lors la société toute entière et ses structures et non plus les individus qu’il faut interroger.Dans cette perspective le blackface est autant un symptôme qu’un continuateur d’une certaine forme de racisme structurel.

Par Abdoulbar Djaffar

 

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